Sous le déluge, exactement #samedi18

 C’était prévisible. Comme attendu. Nous avons marché vers cette journée tel un paquebot qui foncerait droit embrasser un iceberg, les cheminées fumantes. Comme si nous le cherchions. Car, avouons-le, nous l’avons mérité. Cette journée est un échec. Vivien refuse cette version, mais les faits sont là. Deux films vus, plus de domicile et une ambiance pourrie. On rembobine.

9 heures  Il pleut. La tente subit les impacts incessants et amplifiés des gouttes. Je suis encore au sec. Ce sont les dernières minutes de répits. L’averse a commencé au moment d’enregistrer mon dernier billet du blog et de débrancher nos appareils en charge, après 5 heures du matin. La douche est un ultime réconfort, un cocon de flotte, le sas de décompression qui indique le caractère humide de la journée.

10 heures. Il faut plier notre (trop) grande toile, ranger les affaires qui ont commencé à prendre l’eau. Le sol est marécageux.

12 h 30. Trouver une place pour la voiture prend une plombe. Nous la laissons finalement entre le front de mer et la ligne de chemin de fer. De beaux rouleaux creusent le sable. Les parapluies se déchirent. Nous sommes instantanément trempés jusqu’aux os.

13 heures. La première tentative pour accéder à une séance, salle Debussy, via la file dite de « dernière chance », que l’on pourrait renommer « dernière croyance », est infructueuse. Dans la file d’attente, une vieille cannoise raconte qu’en mars, il a plu cinq jours sans s’arrêter.

13 h 30. Il n’y a forcément pas foule sur la Croisette, personne ne songerait à se donner en spectacle en mode éponge.

14 heures. Nous nous réfugions sur le bar de la plage privatisée, où nous sommes passés la veille. Les parapluies sont entassés à l’entrée. La carte propose des boissons hors de prix. Le thé est à 6 euros. Je ne bois rien.

16 heures. L’accueil de Cannes Cinéphiles est peu fréquenté. Il reste des places pour une projection à 19 heures, ainsi que pour la séance de minuit. L’honneur sera sauf.

18 heures. Le Grand Journal est annulé. Un match à Nice aussi. Il pleut toujours.  Nous regardons Eva Longoria, Jane Fonda, Steven Spielberg, mais aussi Harry Roselmack ou Rémi Pflimlin monter les marches, accoudés sur une barrière derrière les photographes. Certain festivaliers, bien qu’habillés, sont privés de tapis rouge. Certains passent visiblement en colère devant nous.  Vivien me fait remarquer les élus (souvent socialistes), ainsi que les personnalités des médias venus attirer les flashs sur leur humble personne.

19 h 15. Bertolucci et son chapeau sont dans la salle du Soixantième. Le réalisateur va assister comme nous à une première, la projection de son Dernier empereur en version 3D. Le film dure près de trois heures. Je l’ai déjà vu il y a tout juste quelques semaines à la télé. J’aurais préféré venir à Cannes faire de vraies découvertes, mais premièrement, on parle ici d’un grand film et deuxièmement, ce temps sera précieux pour retrouver des pieds secs, même de façon éphémère.

22 h 30 environ. Vivien crie famine, il est en quête d’un kebab. Nous nous posons sur une table en formica. Des Italiens en costard se resservent en kechup à coté.

Une enceinte crache un boucle un morceau d’électro mainstream déjà entendu plus tôt dans la voiture.La musique n’est interrompue que par l’appel d’un ami du patron, qui est retransmis par ce haut-parleur improvisé. Le patron qui se désole de la pluie. Même si il ne s’installera sans doute pas dans un fauteuil du palais, ce déluge est un manque à gagner certain pour sa boutique.

23 h 30. C’est notre dernière file d’attente de la journée. Nous allons voir Monsoon Shootout, d’Amit Kumar, au Grand Théâtre Lumière. Cette dernière montée des marches est filmée, retransmise sur l’écran géant accroché sur le palais. Sauf qu’aucune célébrité n’est attendue pour la séance de minuit. Le smoking n’est plus exigé.

Un homme monte en k-way jaune. Les escabots qui font face aux tapis rouge sont désertés. Quelques photographes jouent encore le jeu, sans doute ceux qui vendent les photos aux inconnus qu’ils ont shooté, le lendemain, dans une boutique proche du palais.

2 heures. Nous quittons la grande salle. Le thriller indien nous partage. Je ne vois pas les clichés que Vivien reproche au film, qui se déroule dans une de ces villes indiennes surpeuplées et sales. Avoir vu Slumdog Millionaire n’est pas suffisant pour tirer des généralités sur le cinéma indien.

Amit Kumar a souhaité nous interroger sur la notion de destin. Trois fins différentes sont proposées à une base. Un jeune flic intègre a le choix entre tuer un fuillard, le blesser, ou hésiter et finalement le perdre. Rien n’indique qu’une solution soit meilleure qu’une autre. La narration n’est pas commune. Il y a des maladresses, mais l’histoire est prenante. Cette mousson (monsoon) me fait prendre conscience que je ne supporterais pas de vivre en Inde.

3 heures. Après maints pourparlers, c’est la solution d’une nuit en voiture qui est retenue. Nous nous garons sur le parking d’un port de plaisance. Éprouvés. Je ne regrette pas d’être venu. J’avais conscience que ce projet était galère et un peu fou.

Je suis simplement consterné d’avoir cru que le festival de Cannes pouvait être agréable à vivre sans un minimum de préparation et surtout, sans toit. La pluie est un aléa prévisible. Je me promets de ne pas y goûter de sitôt. Avec un pass Cinéphiles, la course aux places a comme pendant, la durée interminable des queues. Il est tard, je fatigue et m’énerve. Mon moral est atteint. Dehors, les réverbères ne mettent plus en lumière la chute des gouttes.

La Croisette n’a pas changé #vendredi17

Une succession d’aires de repos et de péages sur 900 km, un ciel qui se déchire sans répits sur notre tente, une bonne nuit de sommeil, malgré tout, et nous voici sur la Croisette.

Nous reprenons nos marques rapidement. Les yachts, tous plus grands les uns que les autres, les voitures de sport, les vieilles à caniche. Cannes n’a semble-t-il pas beaucoup changé depuis trois ans. Seule cette immense structure, qui a accueilli la soirée de Gatsby (mais sans Di Caprio) cache encore davantage la vue sur la Méditerranée.

10 heures. Notre seul objectif est à cette heure d’obtenir nos pass cinéphiles. Nous dégotons en prime des places pour Visions of Eight de Claude Lelouch (projeté en sa présence). Sur la route vers le parking, nous avons failli écraser Julien Clerc.

13 h 30. Après nous être heurtés aux vigiles qui gardent l’entrée du Marché du film, nous entamons notre première queue pour voir Miele de Valeria Golino en sélection Un certain regard. L’histoire d’une jeune femme, (le sosie de Najat Valaud-Belkacem, même si Vivien refuse cette comparaison) en Italie, qui aide des malades à mourir en leur procurant du poison récupéré dans des pharmacies mexicaines. Sauf qu’un jour, ce n’est pas un malade qui veut mourir. Il y a-t-il de la déontologie quand on travaille hors du droit ?

15 heures. Cinéma de la plage, sans film, mais avec du soleil et un kéké qui improvise le tournage d’un clip entre les filles en maillots et les vieilles en chapeaux.

16 h 50. Nous avons séché Visions of Eight pour un coup de dés. Chercher d’hypothétiques places pour les projections de la sélection officielle. Une heure d’attente sur le trottoir et finalement des billets. Ce sera Tian Zhu Ding du chinois Jia Zhangke à 22:30. On nous dit que « c’est bien mais longuet ».

18 heures. Vivien claudique, le pied blessé par ses chaussures neuves. Nous passons devant le plateau du Grand Journal, où un mouvement de foule provoquera l’interruption de l’émission quelques minutes plus tard. Pour l’instant, Daphnée et Michel répètent, Le Petit Journal tourne pas très loin de là une séquence sans doute indigente sur une « fausse téléréalité », tandis que le bas peuple regarde les voitures aux vitres teintées quitter le Majestic pour conduire les invités qui monteront les marches pour Le Passé à 19 heures.

20 heures. Sur un parking gratuit, loin de la Croisette, du défilé des voitures officielles et des touristes aux regards vides, les CRS cassent la croûte à côté de nous. La nuit tombe, mais pas l’excitation des fêtards en quête de jolies blondes pour accéder aux soirées privées.

21 h 40. Après de longues minutes pour stationner la caisse, on se décide à mettre nos chemises blanches. Dernier check-up, rien d’oublié, ni l’invitation, ni le noeud-pap’. Mince ! Mon badge. Sprint vers la voiture, récupération du bout de plastique, sprint vers le blockhaus du festival. Les minutess sont comptées, notre accès ferme à 22 h 10.

22 h 10. Seuls, Vivien et moi montons les marches. Les photographes tirent la gueule, ils attendent l’équipe de Tian Zhu Ding pour déclencher les flashs. Vivien grimpe à toute allure, juste le temps pour moi de faire du air guitar sur une musique des Rolling Stones. La grue directionnelle pointe sa caméra à bout portant. Cette séquence est une blague. Dans la précipitation, mon noeud-pap’ est à l’envers, mes boutons de col défaits, mon front suant. Ceci n’était pas prémédité. Je ne souhaitais même pas casser le protocole, mais dans le Grand Théâtre Lumière, les plus attentifs ont dû bien rire. La monté des marches y est retransmise sur l’écran.

22 h 30. Les acteurs jouent le jeu du tapis rouge. Très loin de leurs préoccupations, une info vient de tomber. Guingamp monte en Ligue 1, ceci est une belle soirée.

22h53. Les scènes de meurtres (dans le film, pas devant Le Majestic)  se succèdent. Un des héros du film charge un canon de fusil. Vivien se penche vers moi : « ce n’est pas une solution », me dit-il, avant de me fixer pendant 30 secondes. Je reste calme.

00 h 45 environ. La séance s’est conclue sur des applaudissements assez nourris du public. D’ailleurs, la salle était assez garnie par rapport à notre dernière venue ici, même si il restait beaucoup de sièges vides sur les côtés (de quoi mettre en rage beaucoup de cinéphiles, je pense).
Tian Zhu Ding est un portrait de la chine contemporaine, ce pays qui évolue trop vite pour ne pas bouleverser les Chinois. Les drames se succèdent. On sait pourquoi la censure a sévi pour empêcher le film de sortir dans l’Empire du milieu. La scène où des prostituées, habillées en militaires, dansent sur l’Internationale devant les clients d’une maison clause haut de gamme suffit certainement à mettre en rogne les censeurs chinois. C’est d’ailleurs d’autant plus heureux que le film soit diffusé à Cannes.

1 heure. Direction une soirée privée où nous sommes invités en tant que « blogueurs influents » (!). Une des rares plages qui restent animées à cette heure pourtant peu avancée dans la nuit. Aline s’est produit ce soir, C2C hier, mais nous arrivons simplement pour l’after. Une pensée pour les Pinçon-Charlot qui auraient apprécié y décrypter les codes de ce monde que nous découvrons. Puisque nous avons désormais traversé le rubicon menant vers le côté obscur, autant en profiter. Nous dansons.

2 heures. Les DJ’s ont remballé leurs platines, les serveurs, as du jonglage, ont rangé les bouteilles de vodka. Terminus, retour sur la Croisette, dernière marche et départ vers notre camping à Mandelieu-la-Napoule. Un attroupement se forme soudain. « C’est Benicio del Torro » nous dit un photographe.
Sur la route, le journal de la RTS, diffusé sur France Info, annonce dans ses titres les incidents du jour à Cannes. Le vol des bijoux de Chopard, les tirs à blanc d’un cinglé devant Le Grand Journal. C’est peut-être tout ce qui restera de Cannes dans un an. Nous y avons pourtant vu autre chose : deux bons films, qui tranchaient radicalement avec la superficialité absolue du cadre cannois. Pays de schizophrènes.