C’était prévisible. Comme attendu. Nous avons marché vers cette journée tel un paquebot qui foncerait droit embrasser un iceberg, les cheminées fumantes. Comme si nous le cherchions. Car, avouons-le, nous l’avons mérité. Cette journée est un échec. Vivien refuse cette version, mais les faits sont là. Deux films vus, plus de domicile et une ambiance pourrie. On rembobine.
9 heures Il pleut. La tente subit les impacts incessants et amplifiés des gouttes. Je suis encore au sec. Ce sont les dernières minutes de répits. L’averse a commencé au moment d’enregistrer mon dernier billet du blog et de débrancher nos appareils en charge, après 5 heures du matin. La douche est un ultime réconfort, un cocon de flotte, le sas de décompression qui indique le caractère humide de la journée.
10 heures. Il faut plier notre (trop) grande toile, ranger les affaires qui ont commencé à prendre l’eau. Le sol est marécageux.
12 h 30. Trouver une place pour la voiture prend une plombe. Nous la laissons finalement entre le front de mer et la ligne de chemin de fer. De beaux rouleaux creusent le sable. Les parapluies se déchirent. Nous sommes instantanément trempés jusqu’aux os.
13 heures. La première tentative pour accéder à une séance, salle Debussy, via la file dite de « dernière chance », que l’on pourrait renommer « dernière croyance », est infructueuse. Dans la file d’attente, une vieille cannoise raconte qu’en mars, il a plu cinq jours sans s’arrêter.
Nouvelle tentative pour Grand Central, en Debussy. Notre file est la dernière qui sera peut-être autorisée. #cannes twitter.com/SylvainErnault…
— Sylvain Ernault (@SylvainErnault) 18 mai 2013
13 h 30. Il n’y a forcément pas foule sur la Croisette, personne ne songerait à se donner en spectacle en mode éponge.
14 heures. Nous nous réfugions sur le bar de la plage privatisée, où nous sommes passés la veille. Les parapluies sont entassés à l’entrée. La carte propose des boissons hors de prix. Le thé est à 6 euros. Je ne bois rien.
16 heures. L’accueil de Cannes Cinéphiles est peu fréquenté. Il reste des places pour une projection à 19 heures, ainsi que pour la séance de minuit. L’honneur sera sauf.
18 heures. Le Grand Journal est annulé. Un match à Nice aussi. Il pleut toujours. Nous regardons Eva Longoria, Jane Fonda, Steven Spielberg, mais aussi Harry Roselmack ou Rémi Pflimlin monter les marches, accoudés sur une barrière derrière les photographes. Certain festivaliers, bien qu’habillés, sont privés de tapis rouge. Certains passent visiblement en colère devant nous. Vivien me fait remarquer les élus (souvent socialistes), ainsi que les personnalités des médias venus attirer les flashs sur leur humble personne.
19 h 15. Bertolucci et son chapeau sont dans la salle du Soixantième. Le réalisateur va assister comme nous à une première, la projection de son Dernier empereur en version 3D. Le film dure près de trois heures. Je l’ai déjà vu il y a tout juste quelques semaines à la télé. J’aurais préféré venir à Cannes faire de vraies découvertes, mais premièrement, on parle ici d’un grand film et deuxièmement, ce temps sera précieux pour retrouver des pieds secs, même de façon éphémère.
22 h 30 environ. Vivien crie famine, il est en quête d’un kebab. Nous nous posons sur une table en formica. Des Italiens en costard se resservent en kechup à coté.
Une enceinte crache un boucle un morceau d’électro mainstream déjà entendu plus tôt dans la voiture.La musique n’est interrompue que par l’appel d’un ami du patron, qui est retransmis par ce haut-parleur improvisé. Le patron qui se désole de la pluie. Même si il ne s’installera sans doute pas dans un fauteuil du palais, ce déluge est un manque à gagner certain pour sa boutique.
23 h 30. C’est notre dernière file d’attente de la journée. Nous allons voir Monsoon Shootout, d’Amit Kumar, au Grand Théâtre Lumière. Cette dernière montée des marches est filmée, retransmise sur l’écran géant accroché sur le palais. Sauf qu’aucune célébrité n’est attendue pour la séance de minuit. Le smoking n’est plus exigé.
Un homme monte en k-way jaune. Les escabots qui font face aux tapis rouge sont désertés. Quelques photographes jouent encore le jeu, sans doute ceux qui vendent les photos aux inconnus qu’ils ont shooté, le lendemain, dans une boutique proche du palais.
2 heures. Nous quittons la grande salle. Le thriller indien nous partage. Je ne vois pas les clichés que Vivien reproche au film, qui se déroule dans une de ces villes indiennes surpeuplées et sales. Avoir vu Slumdog Millionaire n’est pas suffisant pour tirer des généralités sur le cinéma indien.
Amit Kumar a souhaité nous interroger sur la notion de destin. Trois fins différentes sont proposées à une base. Un jeune flic intègre a le choix entre tuer un fuillard, le blesser, ou hésiter et finalement le perdre. Rien n’indique qu’une solution soit meilleure qu’une autre. La narration n’est pas commune. Il y a des maladresses, mais l’histoire est prenante. Cette mousson (monsoon) me fait prendre conscience que je ne supporterais pas de vivre en Inde.
3 heures. Après maints pourparlers, c’est la solution d’une nuit en voiture qui est retenue. Nous nous garons sur le parking d’un port de plaisance. Éprouvés. Je ne regrette pas d’être venu. J’avais conscience que ce projet était galère et un peu fou.
Je suis simplement consterné d’avoir cru que le festival de Cannes pouvait être agréable à vivre sans un minimum de préparation et surtout, sans toit. La pluie est un aléa prévisible. Je me promets de ne pas y goûter de sitôt. Avec un pass Cinéphiles, la course aux places a comme pendant, la durée interminable des queues. Il est tard, je fatigue et m’énerve. Mon moral est atteint. Dehors, les réverbères ne mettent plus en lumière la chute des gouttes.