Ni fait, ni à refaire #dimanche19

festival cannes 2013 yachts

Il n’y a pas de plaisir sans peine, dit le proverbe français. En manque de bonne bouf’, d’accès aux salles, de films potables et de sommeil, ça devait donc être l’extase. Vous imaginez bien que non. Dernière journée de galère.

9 h 30. L’oxygène manque dans l’habitacle. Je viens d’émerger, le soleil tape sur le pare-brise. Il est temps de quitter mon sac. La bonne nouvelle de cette matinée, celle qui me redonne le sourire à la suite d’une journée pourrie, c’est qu’un peu par hasard, nous avons échoué la voiture au port de plaisance de la Rague. Et qui dit port, dit douches. Ces dernières se révèlent être bien cachées.

10 h 30. Vivien ne profitera pas de la vue sur la Méditerranée qu’offre « le port le plus sympathique de la Côte d’Azur », dixit le site web (ce qui reste à prouver, je n’en connais pas d’autres). Nous quittons Théoule-sur-Mer pour rejoindre notre camping de Mandelieu, quitté hier dans des conditions dantesques. Il s’agit de faire sécher nos affaires avant qu’elles ne moisissent dans le coffre. Ranger et déranger nos valises. Nous perdons un temps fou à répéter ces mêmes gestes depuis vendredi. Je lance dans les airs la « 2 secondes », qui est au chapiteau familial ce que le bateau de sauvetage est à la frégate, puis nous levons le camp.

14 heures. France Info raconte les pérégrinations de Jean-Luc Mélenchon, le roi des trolls, sur la Côte-d’Azur. La veille il était à Antibes. Il y a entonné l’Internationale sur le quai des Milliardaires.

Vivien me dépose près du Palais des festivals. Je décide de rendre aussi visite aux yachts immenses qui mouillent sur des quais quadrillés par les CRS. J’observais le même manège il y a trois ans. De gros bateaux qui attirent des badauds, avec au milieu du quai quelques voitures de luxe accréditées, qui transportent les guest venus à Cannes seulement faire la fête. Voyant le badge qui pendouille à mon cou, certains passants me demandent si je connais les noms de ceux qui dorment ici. Personne ne semble au jus de la composition des invités, ce qui n’empêche nullement les flashs de crépiter.

15 heures. Vivien m’a rejoint près de l’entrée du Village international, donc l’accès nous est interdit. Une consoeure de BFMTV nous apprend que Valérie Trierweiler est dans les environs. Peu de chance toutefois qu’elle se montre sur la Croisette. Trop risqué niveau com’. Il n’y aurait pas pire pour faire perdre à son mari ses derniers soutiens dans l’opinion.

15 h 30. Nous avons chacun une place pour Otdat Konci, de Taisia Igumentseva, film russe diffusé à 16 heures dans la salle du Soixantième. Le synopsis donne envie. Un village est confronté à l’imminence de la fin du monde et décide d’organiser une grande fête. Même si la prophétie ne se réalise pas, la vie des habitants est bouleversée à jamais. Le temps presse, mais je suis Vivien, qui tente une ultime bronzette sur le sable du Cinéma de la plage.

16 h 10. La file des cinéphiles est très longue, sur la terrasse du palais, devant la salle démontable du Soixantième. Nous comprenons vite que nous ne rentrerons pas. Cent-cinquante personnes au bas mot, munies d’invitations, restent sur le carreau. Le surbooking appliqué au cinéma. C’est le coup de grâce. Nous avions trois projections de prévues, la première s’évanouit. La prochaine sera dans cette même salle, dans preque trois heures. Je garderai position jusque là. Vivien décide de retourner à la voiture pour saisir son smoking. Il tentera l’accès de dernière minute pour la projection de 22 heures au Grand Théâtre Lumière. Je n’en ai ni le courage, ni l’envie. En attendant, je me défoule en tapant mon compte rendu du samedi.

19 heures. Quatre réalisateurs indiens sont dans la salle du Soixantième pour la soirée de gala en l’honneur de leur pays, invité spécial du festival. Leurs moyens métrages sont regroupés sous le nom de Bombay Talkies. Aurélie Filippetti est présente, son homologue indien aussi. Thiérry Frémaux, qui coure de salle en salle, fait les présentations. D’après Vivien, les deux premiers films étaient les meilleurs. Dommage, j’ai abandonné la partie. Une courte absence est fatale lors d’un film en VO. Le troisième raconte l’histoire d’un jeune garçon qui rêve de devenir danseuse. Un scénario transposable dans le monde entier. Où est le particularisme indien ici ? Le dernier tourne en dérision le culte dont sont l’objet les acteurs stars de Bollywood. Rien de transcendant.

21 h 45. Le Palais des festivals possède des failles. C’est toujours le dernier jour qu’on les découvre. Bien que les entrées soient toutes gardées, un mot de passe permet d’accéder au noyau du bâtiment via l’accès situé près de la salle du Soixantième. Je vous le dis, au cas ou vous souhaitiez essayer. Le même sésame peut justifier de s’éclipser momentanément d’un examen. D’autres cinéphiles le connaissent et l’utilisent comme Vivien, pour changer de pantalon et passer un nœud pap’. Nous nous séparons. Je visite l’espace presse, quasi désert à cette heure, pendant que Vivien réussit son pari. Il assiste à la projection de Borgman, du suédois Alex Van Warmerdam, en compétition pour la palme d’or.

22 heures. Je retrouve un camarade d’école de journalisme devant les petites marches de Debussy. Qui a dit que les rendez-vous sont impossibles à Cannes. Ça fait juste trois jours qu’on essaye de se capter. Il faut être persévérant. Nous allons manger à l’Avion. Une salade, 11,80 €, une heure d’attente. Notre serveuse débute ce soir. Qui dit mieux ? Adieu l’espoir de boire un dernier cocktail à l’œil sur la plage de l’hôtel 3.14.

00 h 15. Les marches se libèrent pour la dernière fois aujourd’hui. Je suis parmi les premiers à les gravir, sans trop m’y attacher. Une seule photo pour la route. Dans le Grand Théâtre, je choisis l’option du balcon, encore désert. Vivien me rejoint, convaincu par Borgman. Pour l’heure, ce sera Blind Detective de Johnnie TO. Une purge de deux heures vingt. Un film à sketchs sans fin. Du gros nanard asiatique qui tâche. J’aurai tout de même ri de bon cœur à une reconstitution de meurtre délirante, avant que les hurlements des acteurs honk-kongais ne m’achèvent. Que ceux qui ont tenu jusqu’au bout se dénoncent.

3 heures passées. Nous prenons la route, après un slalom entre les villas ultra sécurisées de La Californie, quartier cossu qui grimpe sur l’une des collines de Cannes. France Info diffuse des musiques de films.

5 heures. Je m’endors dans la plus grande promiscuité. J’ai eu le plaisir de faire la rencontre de la police municipale de Mandelieu quelques minutes plus tôt. Mon attitude les a alertés. Ils passent trois fois à ma hauteur, dans un sens puis dans l’autre, alors que je fouille dans le coffre de la voiture, garée au bord de la route, en quête de mon chargeur. Les flics s’arrêtent, me voient les clés à la main. « Ne laissez rien de valeur dans votre voiture monsieur ». Hypocrite.

Si je me demandais il y a peu qu’est-ce qui pouvait bien me pousser à passer trois jours à Cannes, je sais au moins maintenant pourquoi je n’y retournerai pas. Du moins, pas dans dans ces conditions. Cannes est un festival professionnel qui rejette le public lambda derrière sa télévision. Sa dimension mondaine en fait un événement plus difficilement accessible encore.

C’est une expérience de l’exclusion. Vivre l’inégalité est certainement le meilleur vaccin pour la combattre. Ce séjour n’en reste pas moins d’une grande violence. La discrimination économique et sociale se niche dans le moindre détail.

Je plaide coupable pour le manque de préparation. Quel gâchis ! Tant d’énergie dépensées pour un résultat aussi piteux. Je m’en veux. Ce festival 2013, je ne l’ai pas vraiment fait. J’étais de l’autre côté de la barrière et pourtant pas tout à fait nu, avec mes quelques places dans la poche. J’étais à la marge, tenu à l’écart. Le grand écart entre le camping et la Croisette était séduisant, mais seulement sur le papier. En pratique, il est impossible. Et je ne compte certainement pas le réessayer.

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